A partir de sa pratique des constellations familiales, la thérapeute Annouche Katzeff travaille sur les failles du présent en s’interrogeant sur les liens qui unissent les membres d’une famille d’aujourd’hui comme d’hier. La multitude de nouvelles approches thérapeutiques qui se lancent à l’assaut du mal-être quotidien fait l’effet d’une jungle aux plantes étranges, tantôt efficaces, tantôt inoffensives sauf pour le portefeuille, mais aussi parfois toxiques pour la personne qui s’y engage. La pratique des constellations familiales, développée dans les années 80 par Bert Hellinger, a pour objectif de renouer des liens familiaux qui ont pu être niés ou rompus même à plusieurs générations d’intervalle.
Pour le philosophe et thérapeute allemand, la négation ou la rupture du lien familial entre deux personnes peuvent laisser des traces et perturber la vie de certains de leurs descendants. Un de ses principes de sa méthode est de reconnaître ces dommages en redonnant une place symbolique aux exclus et à ceux qui ont souffert de cette exclusion. Ne rien inventer. Les séances de constellations se pratiquent souvent en groupe, certains thérapeutes comme Annouche Katzeff préfèrent l’approche individuelle. Une feuille blanche de papier machine va symboliser chaque membre de la famille à consteller. En les posant sur le sol, le « constellé » dessine les liens imaginaires ou inconscients qui les unissent ou les séparent. Regardent-ils dans la même direction, se tournent-ils le dos ? Les deux pieds sur le rectangle de papier, le constellé est invité à « sentir » les liens avec les membres de la famille que la feuille symbolise. Parfois, il ne sentira rien ou une chaleur, une impression de raideur. Avec la thérapeute qui prend place sur une autre feuille, des regards s’échangent. Parfois au bout de ces regards apparaît une personne. Une personne qui peut avoir laissé des traces dans l’histoire familiales ou quelqu’un dont on ne sait rien. Si je n’ai pas d’informations vérifiables, je ne vais rien inventer explique Annouche Katzeff. Une hypothèse ne vaut que si elle peut être vérifiée.
Si on reste dans le flou, ce n’est pas grave si ça permet au constellé d’avancer dans sa recherche personnelle. Le travail individuel, estime la thérapeute est plus souple car il permet d’accompagner la personne jusqu’où elle est et jusqu’où elle veut aller. Très attentive à l’éthique dans sa pratique, Annouche Katzeff prend garde de ne rien imposer. Très vite, on peut se trouver confronté à l’interprétation de ses intuitions. On peut par exemple sentir que dans une lignée, un père n’est pas le vrai père, mais sans informations précises, on ne peut le situer à une, deux ou quatre générations en aval. A l’issue du travail, le constellé reconnaît le manque, la perte. Il peut réintégrer cette personne de manière symbolique dans le clan familial, même si elle est inconnue. Des microrituels. Les pertes qui (ré)apparaissent peuvent se révéler très proches. Une grossesse sur huit est multiple. La perte d’un jumeau dans les trois premiers mois de grossesse est plus fréquente que l’on imagine, car elle passe souvent inaperçue. Perdre un être avec qui l’on a vécu en fusion pendant deux ou trois mois est une sensation traumatisante qui change le rapport avec le monde avance Annouche Katzeff qui s’intéresse de près à ces situations. Ça crée un sentiment très fort qui affecte tout le système transgénérationnel avec la difficulté supplémentaire que c’est souvent invérifiable. Le développement de la procréation assistée accentue le phénomène et multiplie les interrogations de la thérapeute. Lorsqu’on sélectionne un embryon parmi les trois viables, celui qui va naître « saura » quelque part en lui qu’il est un survivant.
Ce qui pour certains relève d’élucubrations « mystico-gazeuses » interpelle la thérapeute qui se défend de porter le moindre jugement vis-à-vis des personnes qui suivent un traitement hormonal souvent justifié. Je me demande seulement comment vont aller le ou les survivants, lorsque je vois déjà l’effet que peut avoir la perte prématurée d’un jumeau par sélection naturelle. Les situations qu’elle rencontre en consultation font reculer ses cadres de référence. Ainsi, une personne s’est présentée en consultation, expliquant qu’elle avait quatre enfants, deux accouchés et deux « surgelés » dans un hôpital bruxellois. La loi prévoit que les embryons ne peuvent être conservés au-delà de cinq ans. Comme la mère ne voulait pas les offrir à une autre femme, elle devait se résoudre à les faire détruire, une décision difficile pour elle. Dans ce cas, je ne sais pas quels mots utiliser. Est-ce un avortement qui a duré plusieurs années ? La thérapeute a conseillé à sa patiente de dire au revoir aux embryons en procédant à un enterrement symbolique. La méthode des constellations familiales fait appel à des micro-rituels qui court-circuitent le rationnel pour aider à sceller symboliquement la prise de conscience de certaines émotions ou la conclusion d’une évolution personnelle.
A Paris, la découverte de plusieurs centaines de foetus délaissés dans la chambre froide d’un hôpital a fait réagir des parents abasourdis devant cet amoncellement de bébés sans sépultures. Dans une tribune libre du journal « Libération », l’écrivaine Sylvia Tabet, auteur d’un récit sur le deuil prénatal, écrivait : Un foetus qui ne devient pas un enfant est une âme errante pour ses parents et leurs proches. Prise de conscience. Dans la logique des constellations familiales, le père biologique est le seul vrai père qu’il le reconnaisse ou non, car c’est la moitié de ses cellules qui ont fait de l’enfant ce qu’il est. En cas de viol, le violeur est aussi un père. Dans les constellations, il n’y a pas de jugement. On cherche d‘abord à comprendre ce qui se passe ou s’est passé. C’est le chemin à prendre pour être plus libre. Il faut parfois pour cela renoncer à une attente ou à un besoin. Mais renoncer, ce n’est pas pardonner, c’est accepter ce qu’on est. Avec l’insémination artificielle, les liens sur lesquels reposent les constellations familiales peuvent être irrémédiablement rompus. Dans cette logique, il devient abusif de la part d’une mère inséminée par un ou deux donneurs de dire » Cet enfant est à moi » alors qu’il n’a aucune cellule de ses deux parents et qu’il transporte toute la mémoire transgénérationnelle de ses deux concepteurs. J’ai beaucoup de compassion envers le gens qui veulent des enfants, mais cet enfant sera-t-il capable de trouver sa place dans la vie. Va-t-il être en quête de quelque chose qu’il ne trouvera pas ? Pour Annouche Katzeff, la première réponse à ces nouvelles questions est une prise de conscience. Du médecin, qui lorsqu’il accomplit une insémination transmet une vie, et de la femme inséminée qui l’accueille. Celle-ci se trouve dans une situation très voisine de celle qui adopte. Si elle dit, cet enfant n’et pas de moi, elle reconnaît et honore la mère et les parents qui lui ont fait le don de cette vie.
C’est une première reconnaissance qu’un lien se prolonge dans une autre famille. Des liens sont indispensables à la construction et au développement de la personnalité. Sans liens, que reste-t-il de l’individu ? Les constellations familiales parlerons à certains qui y trouveront un écho symbolique du fonctionnement de l’esprit et des liens qui unissent les humains avec ce qui les a faits. D’autres n’y verront qu’un fatras d’élucubrations. Pour simplifier les choses, on peut dire que le travail initié par Bert Hellinger propose une méthode pour aider les personnes qui se trouvent devant un noeud personnel à affirmer : « Ce n’est pas moi. » Il ne s’agit pas de déresponsabiliser la personne, précise la thérapeute, mais plutôt de la décharger d’un sentiment d’impuissance et de culpabilité. A partir de là, tout un cheminement personnel peut commencer. Gilles Bechet. Article paru dans le mensuel Belge « Familles », Numéro 39- Octobre 2005